La foule se presse au sixième étage du BHV pour découvrir ce premier rayon physique, entre curiosité sincère et malaise diffus. L’enseigne en ligne Shein s’invite ainsi au cœur d’un grand magasin parisien, le jour même où son activité en France se retrouve sous pression. Entre ouverture commerciale et tourmente politico-médiatique, la scène résume un climat déjà électrique.
Controverse grandissante et inauguration du stand Shein au BHV
Depuis plusieurs semaines, l’annonce de ce stand a alimenté un débat vif sur l’ultra fast-fashion. L’idée de voir la marque Shein s’installer dans un grand magasin réputé a choqué une partie de la clientèle et plusieurs partenaires. La polémique a brusquement changé d’échelle après les révélations de la répression des fraudes.
Les contrôleurs ont découvert sur le site chinois des poupées sexuelles à l’apparence d’enfants, décrites comme pédopornographiques. Cette découverte a relancé les critiques contre la plateforme et son modèle. Elle a également mis en cause la capacité du groupe à filtrer les produits proposés en ligne par des vendeurs tiers. L’affaire a pris une dimension nationale.
Le gouvernement a rapidement réagi. Le mercredi 5 novembre, il a engagé une procédure de suspension en France. Le même jour, la filiale française a bloqué la vente de tous les produits tiers, le temps de se mettre en conformité avec le droit national. Malgré cela, l’ouverture du stand a bien eu lieu à 13 heures dans le BHV.
Entre curiosité, petits budgets et déception sur les prix
Dans l’après-midi, les vagues de clients se succèdent au sixième étage, où les portants sont bien garnis. Les vêtements sont touchés, palpés, essayés, avec l’envie d’associer plaisir et petits prix. Aurélie repart les bras chargés, avec une chemise jugée originale et un pull choisi avec soin. Elle explique qu’elle pense aussi aux revenus modestes.
Cette cliente insiste sur la nécessité de rester attentive au budget, même dans un moment de détente. Elle remarque pourtant que les tarifs affichés en magasin semblent plus élevés que ceux qu’elle a l’habitude de voir en ligne. Selon elle, les prix sont “un petit peu plus chers que sur le site”, ce qui tempère son enthousiasme initial.
Sandrine, autre visiteuse, compare systématiquement les étiquettes en magasin avec celles du site de Shein grâce à son téléphone. Elle constate des écarts de quatre à cinq euros pour certains articles. Sa stratégie est claire. Elle repère les modèles qui lui plaisent sur place, mais prévoit de passer commande depuis chez elle. Elle envisage de revenir surtout pour regarder.
Un pari Shein risqué pour l’image et les partenaires du BHV
Pour le BHV, l’enjeu dépasse la seule affluence du jour. L’enseigne a déjà perdu plus d’une dizaine de marques qui ont quitté le magasin après l’annonce de ce partenariat. Son principal investisseur, la Caisse des dépôts et consignations, s’est également retiré. Le coût en termes d’image et de confiance ne se mesure pas uniquement à court terme.
Le directeur du magasin, Frédéric Merlin, assume publiquement ce choix qu’il présente comme une innovation commerciale. Il explique qu’il faudra attendre la fin de journée pour évaluer la satisfaction des clients et la qualité perçue des produits. Selon lui, l’offre pourra évoluer pour coller davantage aux attentes, au gré des futures commandes et des retours recueillis.
À l’extérieur, les opposants à Shein ne désarment pas. Ils rassemblent des militants venus de la gauche, de la droite, ainsi que des associations de défense des enfants et de l’environnement. Tous se rejoignent dans la dénonciation de ce modèle. Leur mobilisation a déjà atteint Matignon, après le scandale des poupées, alors que des armes et des machettes avaient aussi été repérées sur la plateforme.
Une ouverture qui laisse en suspens de nombreuses questions sensibles
Cette journée d’inauguration laisse une impression contrastée, entre succès d’affluence et frustration liée aux écarts de prix. Les clients oscillent entre attrait pour la mode à bas coût et recours au site en ligne pour payer moins cher. Pour le BHV comme pour Shein, le pari reste fragile, sous le regard des autorités, des partenaires et des manifestants mobilisés.