« Je n’ai pas trouvé d’équivalent »: l’inquiétude des musiciens face au Brésil qui veut interdire la vente du pernambouc, ce bois qui sert à la fabrication des archets

Les musiciens expriment leur inquiétude face à une possible interdiction d’un bois essentiel à leur art.

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La Convention internationale sur le commerce des espèces menacées s’ouvre en Ouzbékistan avec un enjeu très particulier pour le monde de la musique classique. Le Brésil veut durcir au maximum les règles entourant le commerce du bois utilisé pour les archets professionnels. Le destin du pernambouc pourrait ainsi se retrouver au cœur des débats, avec des conséquences directes pour les tournées, les orchestres et les ateliers d’archetiers.

Les débats internationaux qui s’ouvrent autour du pernambouc

Selon franceinfo.fr, la convention CITES se tient à Samarcande du 24 novembre au 5 décembre 2025. Les États y discutent du commerce d’espèces animales et végétales menacées par les échanges internationaux. Le Brésil souhaite faire classer cet arbre endémique du nord du pays dans la catégorie la plus protégée, ce qui rendrait son commerce beaucoup plus contraignant. Cette orientation inquiète fortement les musiciens et les artisans.

Pour les violonistes, altistes, violoncellistes et contrebassistes, ce bois rare est la référence pour leurs archets. À l’Opéra de Paris, la violoniste Émilie Belaud rappelle qu’un archet se choisit parfois après des mois de recherche. Elle explique qu’elle joue encore avec celui acquis à quinze ans, car elle n’a jamais retrouvé une qualité comparable. Elle redoute de devoir voyager avec un instrument difficile à faire reconnaître.

Si la mesure est adoptée, chaque passage de frontière avec un archet fabriqué dans cette essence exigerait une autorisation CITES. Les délais pourraient atteindre six mois, alors que certains aéroports ne disposent pas des services compétents pour ces formalités. Des musiciens craignent de voir leurs archets consignés, voire confisqués, au milieu d’une tournée. Quelques directions d’orchestre suggèrent déjà des modèles en carbone, produits en Chine, que beaucoup jugent moins satisfaisants.

L’avenir des musiciens et des archetiers face au pernambouc

Pour Émilie Belaud, des contraintes administratives aussi lourdes menaceraient directement les concerts à l’étranger. Elle estime qu’une telle évolution signerait l’arrêt de nombreuses tournées internationales. À ses yeux, un archet ne se remplace pas facilement. Elle le considère comme une prolongation du corps, ajustée à sa technique, à son son, à sa personnalité musicale. Le risque serait de briser cet équilibre fragile.

Les conséquences s’annoncent tout aussi fortes pour les archetiers. À Paris, Arthur Dubroca tient son atelier depuis plus de vingt ans. Il souligne qu’avec le nouveau dispositif, chaque réparation, fabrication, achat ou vente demanderait un agrément spécifique. Il refuse l’idée de passer l’année à remplir des formulaires pour un travail réalisé en quelques heures sur l’établi. Par la suite, il y voit une entrave majeure au bon fonctionnement de sa profession.

Une interdiction totale du commerce du pernambouc fragiliserait surtout la clientèle étrangère. L’archetier estime qu’environ 30 % de son activité repose sur des artistes de passage qui font réparer ou ajuster leur archet entre deux concerts. La perte de cette clientèle pourrait le contraindre à fermer son atelier. Il juge la mesure disproportionnée, rappelant que la fabrication d’archets destinés à l’Europe entraîne l’abattage d’une quinzaine d’arbres par an seulement.

Une protection renforcée des espèces menacées au cœur des débats

Les ONG spécialisées défendent une autre lecture de la situation. Maud Lelièvre, présidente de l’Union internationale pour la conservation de la nature, insiste sur l’urgence écologique. Elle explique que plus de 80 % de cette essence ont disparu en trois générations. Ce recul extrêmement rapide pousse les défenseurs de la biodiversité à réclamer des règles plus strictes, indispensables pour éviter la disparition de l’espèce.

Selon elle, il reste possible de concilier activité économique et protection des forêts. Elle plaide pour des mesures strictes ciblant les arbres sauvages, assorties d’incitations fortes à utiliser du bois cultivé. Les défenseurs du pernambouc rappellent que ce débat ne se limite pas à un seul arbre. La CITES doit aussi se prononcer sur le surclassement du requin océanique, dont environ 70 % de la population auraient disparu, notamment à cause du commerce illégal des nageoires.

Le sommet constitue enfin un rendez-vous clé contre le braconnage et les trafics. Les États y débattent de la fermeture des marchés nationaux encore alimentés par l’ivoire ou certaines écailles. Maud Lelièvre souligne que la France et l’Europe restent concernées par ces circuits, d’où l’importance de neutraliser ces débouchés. Elle décrit une conférence technique, parfois difficile à suivre, mais abordée avec un réel optimisme quant aux avancées possibles.

Un équilibre délicat entre création musicale et protection de la biodiversité

Au total, la convention CITES réunit des intérêts parfois difficilement conciliables, entre sauvegarde d’une espèce en danger et survie d’un savoir-faire musical et artisanal. Les musiciens redoutent de voir leurs tournées et leur son bouleversés. Les archetiers craignent de perdre des clients et un métier transmis sur plusieurs générations. Les écologistes défendent une protection rigoureuse du pernambouc au nom de la biodiversité. L’issue des débats dira si un compromis durable est possible.

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