En 2008, la Chine construisait des stations de métro au milieu de nulle part. En 2025, nous avons réalisé à quel point nous étions candides

Une stratégie d’infrastructures bâties en avance révèle ses forces et ses limites face au temps et à la dette.

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En Chine, des stations de métro surgissant au milieu des friches ont longtemps été perçues comme le symbole d’une folie planificatrice. Beaucoup d’observateurs occidentaux y voyaient un gaspillage assumé de ressources publiques. Pourtant, le pays misait déjà sur une urbanisation étalée sur des décennies. En 2025, le bilan de cette stratégie apparaît plus nuancé. Il oscille entre succès urbains spectaculaires et facture financière désormais difficile à ignorer.

Des stations de métro construites avant l’arrivée des habitants

Depuis la fin des années 2000, selon jeuxvideo.com, la Chine a inversé la logique suivie par de nombreuses grandes métropoles occidentales. Les infrastructures de transport ne viennent plus après la ville, elles la précèdent volontairement. Les autorités creusent d’abord des tunnels, installent les quais, puis attendent que la population et les activités rattrapent ce maillage souterrain. Ce pari s’inscrit dans une vision de long terme assumée.

Les Jeux olympiques de Pékin jouent un rôle déclencheur dans cette bascule. Pour préparer l’événement, la capitale engage un programme d’infrastructures colossal, évalué à environ 40 milliards de dollars, largement consacré aux transports urbains. L’exemple fait école. Dans les années qui suivent, les grandes villes du pays se lancent à leur tour dans la construction de réseaux souterrains. En quelques années, des milliers de kilomètres de lignes nouvelles apparaissent sous les plaines et les collines.

À court terme, le résultat déroute. Plusieurs gares émergent ainsi au milieu de terrains nus, sans commerces ni avenues aménagées. Certaines descendent jusqu’à près de soixante mètres sous le sol, niveau de profondeur qui renforce l’impression d’excès. Une étude menée à Wuhan montre pourtant que la présence d’une nouvelle gare renchérit déjà les terrains commerciaux voisins. Dans un rayon d’environ quatre cents mètres, les investisseurs intègrent la promesse future de densité urbaine.

Comment les stations de métro vides redessinent la ville sur le long terme

L’exemple de Caojiawan, à Chongqing, a concentré les critiques comme les fantasmes. Cette station ouvre en octobre 2015 dans le district de Beibei, encerclée de friches. Trois accès de béton émergent alors dans un paysage sans route ni commerce, presque sans habitants recensés. Les rares voyageurs qui s’y aventurent descendent sur des quais silencieux, constatent le vide, puis montent dans un minibus pour rejoindre les quartiers déjà occupés.

En 2017, une série de photos de Caojiawan devient virale. On y voit des quais impeccables mais déserts, des escaliers isolés et un hall vide. Un employé reconnaît que peu de passagers utilisent la gare, ce qui renforce les critiques. Sur les réseaux sociaux occidentaux, la station est immédiatement présentée comme le symbole d’un délire urbain. Elle incarne, aux yeux de nombreux commentateurs, un gaspillage incompréhensible de fonds publics et une erreur de planification flagrante.

La suite raconte pourtant une autre histoire. En novembre 2019, les routes autour de la station sont enfin achevées et les premiers immeubles sortent de terre. En 2020, Caojiawan cesse d’apparaître comme une aberration et devient une gare fonctionnelle intégrée à un nouveau quartier. Pour les planificateurs chinois, cet épisode illustre un point central : des stations de métro longtemps vides peuvent simplement devancer de quelques années la vie urbaine qu’elles sont censées accompagner.

Un modèle urbain spectaculaire désormais confronté à sa dette cachée

Derrière les images de villes neuves se cache cependant un coût massif. Lanzhou New Area cristallise ce débat avec un projet évalué à 14 milliards de dollars. L’objectif officiel est d’y accueillir un million d’habitants à l’horizon 2030. En 2016, le site ne rassemble pourtant qu’environ cent cinquante mille résidents et quarante mille ouvriers. On y voit des répliques géantes du Sphinx, des montagnes arasées et des lacs artificiels, signes visibles d’un urbanisme mené à très grande échelle.

Pour les urbanistes chinois, cette situation ne relève pas d’un échec mais d’une latence voulue. Ils raisonnent sur des cycles de quinze à vingt ans, où les premières années ne sont qu’un acte préparatoire. Pendant ce temps, Pékin continue de pousser l’effort. Depuis le début des années 2000, la capitale a englouti des sommes colossales dans son réseau, qui dépasse aujourd’hui largement les centaines de kilomètres de lignes. Le modèle mise sur l’avance permanente de l’infrastructure sur la démographie.

En 2025, la facture commence toutefois à peser lourd. Les principales compagnies de métro qui publient leurs comptes affichent un endettement cumulé de plusieurs milliers de milliards de yuans. Le réseau de Shenzhen, l’un des plus fréquentés du pays après Shanghai, enregistre des pertes quotidiennes estimées à une centaine de millions de yuans. À Chongqing, les seules dépenses de personnel absorbent déjà une part très importante des coûts d’exploitation. Même des stations de métro devenues utiles peinent à couvrir leurs charges.

Sous la pression, l’État central tente de refermer le robinet des grands chantiers. Dès 2018, Pékin interdit aux villes de moins de trois millions d’habitants de lancer de nouveaux projets de métro. D’autres restrictions suivent et gèlent la plupart des programmes supplémentaires. Dans le même temps, les limites d’un développement mené à marche forcée apparaissent : gares avec une seule entrée engorgée, correspondances mal pensées, absence de trains express. L’inondation meurtrière du métro de Zhengzhou lors des pluies extrêmes de 2021 met aussi en lumière des failles de conception et de protection.

Une stratégie urbaine qui doit désormais prouver sa solidité dans le temps

Le défi majeur de la Chine n’est plus de creuser des tunnels, mais de faire vivre durablement les réseaux qu’elle a construits. Il ne s’agit plus seulement de démontrer que les quartiers finissent par rejoindre les lignes, comme à Caojiawan, mais de garantir leur sécurité, leur robustesse financière et leur qualité de service. Le pays doit passer d’une logique de construction rapide à une logique où le passager devient le point de départ de la conception.

Pour beaucoup d’observateurs occidentaux, cette trajectoire oblige aussi à revoir certains jugements hâtifs. Pendant que l’Europe et l’Amérique du Nord privilégiaient des transports jugés rationnels et immédiatement rentables, la Chine acceptait dix ans d’apparente folie pour anticiper sa propre croissance urbaine. En 2025, il apparaît que la vision n’était pas naïve, mais que son coût et ses risques restent considérables. La question n’est plus de savoir si la stratégie était audacieuse, mais si elle peut rester soutenable à long terme pour le pays.

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