« À l’importation, elle coûte 1 euro le kilo alors qu’en France on la produit à 2 euros » : pourquoi 100 tonnes de lentilles bio françaises s’accumulent à Laure-Minervois

Un enjeu de commande publique et de souveraineté alimentaire se joue autour d’une filière fragilisée.

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Le déséquilibre entre prix d’importation et production locale se lit désormais dans un hangar audois. À Laure-Minervois, une coopérative voit s’empiler des sacs sans contrat assuré. La concurrence étrangère, moins chère, capte une part croissante des commandes publiques et privées. Derrière ces palettes, une question s’impose : comment garantir des débouchés stables aux lentilles bio sans fragiliser les budgets alimentaires ?

Les lentilles bio face aux prix d’importation

Selon lindependant.fr, à Laure-Minervois, Graines Équitables gère un stock de plus de 100 tonnes en attente. Les sacs patientent depuis quelques mois, faute de circuits d’écoulement. Les producteurs locaux, engagés de longue date dans des pratiques sobres en intrants, constatent un marché désorienté. L’offre existe, mais la demande ne suit pas au bon endroit.

Le différentiel de prix pèse lourd, à l’import environ 1 € le kilo, contre 2 € en France. « Sans importations massives du Canada, il n’y aurait pas de surplus », résume Yann Bertin, directeur. Ce fossé oriente les achats vers l’entrée de gamme, loin des lentilles bio cultivées sur le territoire.

Le paradoxe inquiète les adhérents. La consommation nationale progresse pourtant de 8 % en volume entre 2023 et 2024, selon l’observatoire Terres Univia-OléoProtéines. Ce dynamisme ne bénéficie pas aux producteurs audois, car l’amont local se heurte à des appels d’offres indifférents à l’origine, et à une pression permanente sur les prix.

Les lentilles bio et les règles de la commande publique

La loi EGalim, votée en 2018, fixe un cap pour la restauration collective. En 2022, elle exige 50 % de produits durables, dont au moins 20 % issus de l’agriculture biologique. Seules 18 % des communes avec cantine scolaire atteignent ce seuil, selon l’Association des maires de France, laissant les lentilles bio hors des assiettes publiques.

Sur le terrain, les cahiers des charges restent souvent muets sur l’origine. « Les appels d’offres ne mentionnent pas la provenance », regrette Yann Bertin. La conséquence est mécanique, les prix dominent, l’éthique environnementale décroche, et la transparence attendue peine à s’imposer dans les cantines.

Stéphane Linou relie l’affaire à la sécurité nationale par la résilience alimentaire. Il plaide pour des contrats d’approvisionnement locaux, engageants sur plusieurs années. En sécurisant les volumes et un revenu plus stable, les collectivités favorisent la planification des semis, soutiennent l’économie territoriale et réduisent l’exposition aux marchés lointains.

Impacts locaux, souveraineté et perspectives de relance

Pour desserrer l’étau, Graines Équitables lance FANTA’SCIC, un démonstrateur territorial. L’objectif est de relocaliser l’alimentation en réhabilitant des friches, en organisant production, tri, stockage et vente en circuit court. La coopérative veut prouver qu’une logistique régionale, mieux synchronisée, peut redonner souffle à la valeur créée dans l’Aude.

Le projet s’appuie sur FILEG, la Filière Légumineuses à Graines d’Occitanie. Cartographie des outils de tri, repérage des capacités de stockage, appui aux conseillers agricoles, aide à la contractualisation figurent au programme. « Nous relions producteurs et acheteurs à l’échelle régionale pour lever les verrous », explique Cyrielle Piau Mazaleyrat.

La clé reste l’engagement des acheteurs publics et privés du territoire. Une masse critique de contrats pluriannuels sécuriserait les flux et l’investissement. Avec des calendriers d’achats lisibles, les lentilles bio trouveraient une place constante, limiteraient les stocks latents et renforceraient une souveraineté alimentaire ambitieuse, sans opposer pouvoir d’achat et proximité.

Ce qui peut changer dans les prochains mois ici

Les prochains mois diront si trois leviers s’alignent : respect effectif d’EGalim, clauses d’origine mieux pensées, et contrats sécurisés. FANTA’SCIC fournira un test grandeur nature pour organiser la chaîne, de la parcelle à l’assiette. Si les acheteurs s’engagent, les lentilles bio cesseront de s’accumuler et la filière locale gagnera en visibilité, en revenus et en confiance. Le territoire consolidera ainsi son autonomie alimentaire, sans renoncer à des budgets maîtrisés.

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